Par Christian Helbert.
Présentée dans le cadre du projet de loi sur la santé, la mise sur le marché du paquet de cigarettes neutre, si elle est définitivement adoptée, est prévue pour mai 2016. La France serait alors le deuxième pays à faire appliquer cette mesure. En vigueur en Australie depuis 2012, le paquet neutre n’a pas eu les résultats escomptés : explosion du marché noir, pertes pour les buralistes et l’État, sans pour autant affecter la consommation de tabac, qui reste stable. Marisol Touraine affiche pourtant sa détermination à faire la guerre au tabac et promet de vrais résultats. Son manque criant de soutiens lors de la réunion ministérielle qui s’est tenue ce lundi 20 juillet et dont elle faisait le porte-étendard de son projet, laisse pourtant présager du contraire.
Marisol Touraine seule face à l’UE
Ce lundi 20 juillet se tenait une réunion ministérielle sur le thème « un monde sans tabac » organisée par Marisol Touraine avec ses homologues étrangers. Très peu pourtant ont répondu à l’appel. Il est aujourd’hui difficile pour la ministre de se montrer fédératrice alors que onze membres de l’Union européenne se sont opposés à son projet d’instaurer le paquet neutre obligatoire. Proposée en 2013 au niveau européen, cette mesure avait déjà eu l’occasion d’être rejetée à six reprises. La Commission aux affaires juridiques du Parlement européen, notamment, l’a écartée en précisant que le paquet neutre irait à l’encontre des règles du marché commun.
L’exemple australien n’a donc pas fait beaucoup d’émules. La ministre australienne elle-même, invitée phare de la réunion de Touraine, ne semblait pas prête à défendre sa politique puisqu’elle n’a pas daigné faire le déplacement, préférant se faire représenter. Pour la petite histoire, rappelons d’ailleurs que la ministre s’était opposée à cette mesure lors de son vote initial au Parlement australien en 2011… Depuis son entrée au gouvernement, elle a donc été contrainte de défendre une mesure qu’elle n’approuve pas. Une posture qui fait d’elle une piètre porte-parole.
Pertes pour les commerçants, pertes pour l’État mais aucun impact sur le tabagisme
Difficile de défendre un tel bilan. Depuis l’introduction du paquet neutre en Australie, la consommation de tabac n’a pas baissé, elle a même augmenté dans certains États. En parallèle de cette inefficacité patente, l’impact sur les commerçants est énorme. 77% des buralistes rapportent un impact très négatif sur leurs affaires. Certains affirment ainsi perdent jusqu’à 15 000 dollars australiens (un peu plus de 10 000 euros) par semaine. Servir les clients a été rendu plus compliqué par la quasi-anonymisation des paquets, impossibles à différencier. 90% des buralistes interrogés estiment qu’il leur faut plus de temps et 59% qu’il leur arrive fréquemment de se tromper dans les paquets et de donner le mauvais produit.
Les petits commerçants ne sont pas les seuls à essuyer les plâtres. Le Trésor australien aurait enregistré 1,1 milliard de dollars australiens (750 millions d’euros) de pertes. En cause, le manque à gagner du prélèvement de taxes, évaporé au profit du marché parallèle, ainsi que le plus gros contentieux commercial jamais engagé devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En avril 2012, l’organisation internationale a été saisie par cinq de ses États membres : Cuba, la République dominicaine, le Honduras, l’Indonésie et l’Ukraine, au motif que la loi australienne met en danger les emplois de centaines de milliers de personnes employées par l’industrie du tabac.
Seul bénéficiaire du paquet neutre : le marché noir. Le paquet neutre et les prix prohibitifs du paquet (20 dollars australiens soit 14 euros) ont contraint les consommateurs à se tourner vers des voies souterraines. Selon une étude KPMG, la contrefaçon a ainsi enregistré une hausse de 25%. Les douanes n’ont jamais vu autant de marchandises contrefaites introduites dans le pays. En parallèle, de nouvelles marques illicites font leur entrée sur le marché, dont l’une, baptisée Manchester, est passée devant Camel en grignotant 1,2% du marché.
Le paquet neutre, joker des ministres de la Santé en mal de popularité ?
À la vue du bilan catastrophique de l’Australie, on est forcé de s’interroger sur les vraies raisons qui poussent certains gouvernements à proposer cette mesure.
En Australie, Nicola Roxon, en charge du projet de loi pour l’instauration du paquet neutre, était classée deuxième pire ministre de la Santé dans l’histoire du pays. Elle est aujourd’hui récompensée de toute part pour sa contribution dans la lutte mondiale contre le tabac. Des louanges étonnantes alors que les preuves de l’efficacité du paquet neutre manquent encore. Son homologue britannique, Andrew Lansley, lui aussi accusé d’être l’un des pires ministres de l’histoire du pays, a décidé de suivre sa voie. De même pour James Reilly au pays du trèfle, qui lui aussi est parti en croisade contre le tabac au moment opportun où il était qualifié de pire ministre de la Santé de l’histoire de l’Irlande. La mise sur le marché du paquet neutre semble être un remède anti-impopularité – un pansement sur une jambe de bois, au vu des effets de la mesure. Marisol Touraine l’a bien compris. Un bon timing pour la ministre alors que le gouvernement Hollande est moribond et que la rumeur d’un remaniement enfle.
Qui peut encore se montrer enthousiaste à l’idée du paquet neutre ? La pilule passerait mieux si cette mesure montrait quelque effet bénéfique. Malheureusement, le bilan australien indique tout le contraire. Mais les occasions d’aujourd’hui effacent les échecs d’hier. Il est temps pour la ministre de la Santé d’enterrer son projet ubuesque et de proposer une réelle politique publique de lutte contre le tabagisme, si telle est vraiment son intention.